Le choix du CIGREF... le point de vue de Ludovic Dubost et des éditeurs de RSE français

26 oct. 2012 5 min read

Hier, un petit tweet de Laurent Pantanacce (@loran), de chez bluekiwi, au sujet du lancement par le CIGREF de son réseau social d'entreprise (RSE) basé sur la solution de Broadvision à déclenché de larges réactions de la twittosphère.

Cette dernière est scandalisée par le fait que CIGREF n'a pas choisi une solution de réseau social d'entreprise (RSE) française pour son projet alors que plusieurs acteurs de qualité existent (blueKiwi, Jamespot, etc.).

Voici deux réactions :

"Je ne suis pas forcément orienté "achetez français". La vraie question est comment le CIGREF a sélectionné sa solution. Elle est partie de ses besoins pour sélectionner une plateforme qui répond à ses besoins et elle n'a pas trouvé son bonheur sur le marché français et elle est allée voir ailleurs ? Ou son choix est le résultat d'un lobbying intense des majors américains, auprès des DSI, qui sont mieux armés qu'une petite structure française sur ce terrain et cela a conduit à ce choix. La question mérite d'être posée."
(Anthony Poncier, MSLGROUP)

"Le CIGREF est un lobby, leader d'opinion sur le numérique auprès des grands comptes. Il se doit d'être exemplaire dans ses choix, préconisations...
Or, il a choisi un RSE Américain, sans consulter les éditeurs Français. Alors que les éditeurs de RSE francais sont nombreux, actifs et très bons.
Sachant que les entreprises qui le composent profitent de leur nationalité française pour leur business : énergie, transport, automobile, la défense et... et des subsides de l'état.
Sachant qu'OSEO qui est censé nous aider à grandir fait partie du CIGREF.
C'est choquant de voir ce type de décision.
Est-ce qu'on imagine le CIGREF américain acheter une de nos solutions? Impossible.
C'est un devoir d'exemplarité qui est bafoué. Et très dommageable. Pour toute l'industrie numérique.
Voilà pourquoi l'indignation a été rapide pour tout le secteur.
Il est temps que les mentalités changent si on veut sortir par le haut.
L'industrie numérique représente 6% du PIB en france, contre 12% aux US.
La première entreprise en France est TOTAL. Aux US c'est Apple.
Arrétons de se focaliser sur les industries d'il y a 50 ans pour booster celles de demain.
Le CIGREF en est un des promoteurs. J'attends de sa part qu'il montre la voie."

(Alain Garnier, Jamespot)

Nous ne faisons pas partie de cette catégorie d'éditeurs ; les réseaux sociaux d'entreprise ne sont pas notre coeur de cible bien que quand combiné avec du partage et de l'organisation de contenu nous en faisons. Ce qui nous interpelle ici, c'est la signification du choix d'une solution non française, et le message que cela lance:

Voici le point de vue de Ludovic Dubost, CEO d'XWiki SAS.

Ici le choix est lourd de sens car comme indiqué précédemment il y a de très bonnes solutions françaises. On peut se féliciter ou se poser des questions sur le choix partiellement Open Source de la solution (Broadvision basé sur Elgg), mais il reste que le CIGREF a choisi une solution d'un gros éditeur non français et que cela montre son manque de soutien à l'industrie locale.

Malheureusement, ce choix du CIGREF ne fait que refléter les choix informatiques des grandes entreprises et des françaises en particulier. Il se trouve que les grandes entreprises ne laissent pas beaucoup de place à l'innovation et aux PMEs, et encore moins à la préférence nationale. Mais que se passe-t-il en pratique.

Je tiens à préciser ici que ce que j'exprime dans cet article ne sont que des constats, après 20 ans d'informatique dont 8 ans à la tête d'XWiki SAS. Il y a bien sur des exceptions et des individus qui soutiennent les PMEs innovantes de notre pays (et nous les en remercions), mais statistiquement ce n'est pas à la hauteur des enjeux.

Les DSI des grandes entreprises tendent vers des choix globaux afin de faire un maximum d'économie d'échelle et par soucis de simplicité et d'efficacité. Rien de surprenant. Par ailleurs "LE" DSI ne veut prendre AUCUN risque, et va tendre vers le choix "commun". Entrepreneurs de l'informatique nous connaissons tous la phrase qui date un peu : "No one ever got fired for buying IBM" (même si aujourd'hui il faut plutôt remplacer IBM par Microsoft). Ceci fait qu'en central la DSI va imposer des plateformes pour réaliser les besoins de la DSI. Soit.

Un problème significatif est que cette plateforme va être imposée même quand le besoin est en réalité différent et quand une autre solution serait plus adaptée. De plus si la solution proposée par le métier n'est pas "référencée" ce n'est même pas la peine d'y penser. J'ai un grand nombre d'exemples de prospects pour lesquels nous avons fait de grands efforts pour proposer notre solution, parfaitement adaptée à leur besoin et dont le retour a été "je suis désolé, mais notre DSI nous a indiqué que nous devrons nous baser sur la solution choisie en standard au niveau du Groupe", alors que la solution en question était beaucoup moins performante.

Il y a bien des utilisateurs et des responsables d'innovations qui souhaiteraient voir d'autres outils émerger mais rapidement ces volontés sont étouffées. 

Le constat fait ici ne relève pas de l'opposition fournisseurs français VS fournisseurs américains. C'est plutôt David contre Goliath et fournisseurs "Grandes Entreprises" contre fournisseurs "PME". C'est là qu'on voit le grand manque du SMALL BUSINESS ACT Européen qui est demandé depuis des années. Sans celui-ci, même des initiatives comme le Pacte PME sont des coups d'épée dans l'eau.

Cela devient "coton" lorsque cela est combiné avec une très faible préférence nationale là où on peut constater que d'autres pays sont beaucoup plus "actifs" (on pourrait parler de l'Allemagne, marché très difficile à convaincre sans passer par des acteurs locaux). Dans mon parcours informatique j'ai découvert que non seulement il n'y a pas beaucoup de préférence nationale mais il y a même un à priori négatif du type "de toute façon les américains sont plus puissants", et même quand vous montrez par A+B que la solution n'est pas adaptée on aura du "mais il vont vous rattraper". C'est d'ailleurs une des grandes raisons qui m'ont amené à choisir l'Open Source, car avec l'Open Source c'est la communauté qui prouve que votre solution est la bonne et vous aide à atteindre la masse critique nécessaire sur ce marché. 

D'un autre coté il faut être réaliste et comprendre que les membres du CIGREF sont des grands groupes. Ils sont par ailleurs très internationaux, et de plus jugés par la bourse. Alors la préférence nationale c'est pas vraiment le sujet pour eux.

J'ai entendu il y a quelques années un président du CIGREF dire par exemple à propos de l'Open Source: "l'Open Source c'est bien... pour les autres. Cela fait baisser le prix de nos solutions, mais nous on se standardise sur le numéro 1". 

Donc pour résumer mon avis : malheureusement je doute que nos PME puissent attendre grand chose de nos grands groupes, à moins d'espérer une prise de conscience disant que, nous aussi, nous pouvons avoir des entreprises qui réussissent dans ce domaine et qui peuvent devenir des champions nationaux. Et c'est la cas avec un eco-système de startups du numérique très dynamiques.

On peut aussi espérer que le CIGREF invitera un jour les éditeurs innovants français pour présenter leurs solutions à leurs membres. Rien que ça serait un pas en avant.

Par ailleurs, il faut nous battre le plus possible pour obtenir le Small Business Act qui peut faire bouger un peu les choses et surtout faire passer le message que l'avenir de notre pays ce sont les PMEs et les ETIs et qu'il faut les soutenir de tout notre poids.

Profitons-en aussi pour féliciter les PMEs innovantes françaises qui ne lâchent pas l'affaire et aussi remercier l'Etat qui fait beaucoup de choses pour les PMEs innovantes. Outre les aides JEI, CIR, Projets de Recherche financés, en tant qu'Etat "acheteur" il y a quelques bonnes nouvelles par exemple pour l'Open Source avec la circulaire Ayrault. De notre côté nous voyons les effets de ces politiques avec une part non négligeable de nos grands clients qui sont "publics" ou "para-publics".

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