"Notre monde a besoin de partage, de liberté, et d'oxygène, même en informatique."

27 oct. 2008 5 min read

Charles Schulz est le responsable de la Confédération des langues natives du projet OpenOffice.org et s'occupe à ce titre du développement international de ce projet. A l'occasion de la sortie de la version 3.0 d'OpenOffice.org, et pour faire suite à notre rencontre aux Lutèces d'Or 2008 il y a quelques semaines, il a bien voulu répondre à quelques unes de nos questions. Merci !

Pouvez-vous vous présenter ?

Je m'appelle Charles Schulz et je suis Parisien. Je me suis intéressé au Logiciel Libre il y a une dizaine d'années environ. Aujourd'hui je suis associé fondateur du cabinet de conseil Ars Aperta, spécialiste en stratégie des technologies numériques.

Pouvez-vous nous rappeler la génèse et l'évolution d'Open Office ? Open Office est né il y a huit ans, c'est ça ?

Oui, mais nous ne sommes pas partis de rien. À l'époque existait une suite propriétaire, StarOffice. La société derrière ce produit, StatDivision, a été rachétée par Sun à la fin des années 90 ; Sun a ensuite décidé de libérer le code de StarOffice, et le projet Libre né de StarOffice est devenu OpenOffice.org. Il existe toujours dans le catalogue Sun StarOffice, mais le produit est identique, seul le contrat de support change je crois.

La dernière version d'Open Office, la 3.0, vient d'être lancée. Quelles sont les nouvelles fonctionnalités ?

Le modèle de développement d'OpenOffice.org est incrémental. Cela veut dire que nous avons procédé à l'ajout et à l'intégration de nouvelles fonctionnalités de façon progressive. Il y a donc beaucoup de fonctionnalités qui n'étaient pas achevées ou qui n'étaient présentes que dans des versions bêta qui se sont retrouvées au sein d'OpenOffice.org 3.0. En effet, OpenOffice.org 3.0 est avant tout une plate-forme modulaire, sur laquelle se greffent des extensions, très faciles à développer, qu'elles soient des modèles de documents ou des connecteurs pour wikis. Voici la liste détaillée et officielle des nouvelles fonctionnalités de la 3.0 : http://www.openoffice.org/dev_docs/features/3.0/

Pour ma part, je signalerai la version native Mac, l'import de documents PDF et leur édition, ainsi que le support des formats MS Office 2007, qui sont différents du fameux OpenXML. Et croyez-moi, ça n'a pas été facile, puisqu'une fois de plus, le format MS Office 2007 (les docx et autres) est aussi documenté que les plans d'accès à Fort Knox...

Comment s'est passé le lancement ? Je crois savoir que le site a eu quelques soucis.

Oui, pendant que nous fêtions joyeusement à la Région Ile-de-France la sortie de la nouvelle version, les serveurs centraux ont planté, et bien que les téléchargements ont été de nouveau possible le lendemain, le site a souffert. Certains appellent cela la rançon du succès, mais je pense qu'il faudra revoir en profondeur notre infrastructure.

Lors des Lutèces d'Or, vous me disiez que le nombre de téléchargements d'Open Office était exponentiel depuis un an. Avez-vous des chiffres exacts ?

Pas à la centaine de milliers près ; il faut comprendre qu'il y a des serveurs que le projet contrôle directement et d'autres sur lesquels la visibilité est réduite. À cela il faut ajouter une distribution sur support physique (CD Rom, clefs USB) et par torrents qui n'est pas négligeable d'après ce que nous avons pu constater. Voici donc les stats pour les serveurs centraux : http://tools.services.openoffice.org/dashboard/dashboards/OpenOffice.org_Downloads/

Comment expliquez-vous cette croissance ?

Plusieurs facteurs peuvent être isolés ; tout d'abord, je pense que les gens cherchent des alternatives à un produit dont l'omniprésence, signe de l'existence d'un monopole privé sur ce marché, pose une série de problèmes. Aussi bien pour des raisons d'indépendance avec ses fournisseurs, que parce que nous ne vivons plus dans un monde où une suite bureautique, logiciel courant et de commodité par excellence, puisse encore coûter quelques centaines d'Euros à l'achat. Ensuite, l'époque change aussi parce que les gens s'aperçoivent qu'ils sont prisonniers d'un seul produit. De la même façon qu'ils gardent leurs photos sur support numérique pour des dizaines d'années sans être liés à un fournisseur d'appareil photos leur imposant son propre format, ils ne s'attendent plus à avoir leurs documents liés à une suite bureautique dont la licence leur interdit tout partage et le format les enferme dans un cercle vicieux. La crise financière démontre si besoin était, que notre monde a besoin de partage, de liberté, et d'oxygène, même en informatique.

Open Office a reçu plusieurs prix cette année. A quoi/à qui doit-on cette reconnaissance ?

C'est toujours difficile de le savoir. On croit en ce qu'on fait, et puis un jour, il y a comme un alignement planétaire qui semble pousser la presse, le public et les commentateurs de tout poil à vous trouver génial. Moi, je sais qu'on était génial bien avant, mais ce genre de reconnaissance fait énormément plaisir. Et nous gagnons des utilisateurs chaque jour qui peuvent lire partout que nous sommes une bonne solution.

Quels sont les prochains objectifs, projets pour Open Office et sa communauté ?

En interne, il va falloir améliorer notre gouvernance et notre efficacité dans l'intégration de notre communauté. Nous parlons quand même de 3000 contributeurs réguliers au bas mot. Pour la suite en elle-même, le temps est venu de réfléchir en profondeur au futur. L'état de l'art change, nous l'avons compris et anticipé : les gens ne veulent plus d'un machin monolithique, ils veulent créer et partager. Nos connecteurs pour les wikis et blogs permettent de créer et de gérer du contenu sur ces types d'outils directement depuis OpenOffice.org. Mais nous allons aussi réfléchir au type d'outil même. La réponse, nous le croyons, ne se trouve pas dans un outil en particulier, elle se trouve dans tous les outils, wiki, suite en ligne, suite riche sur le poste de travail. Et nous n'avons pas de religion en la matière : nous ne croyons qu'en la liberté, l'interopérabilité, et le partage. Merci.

Articles similaires :